Colloque

Les revues-livres ou mooks

10 & 11 avril 2014 à Metz

Les revues-livres ou mooks : espaces de renouveau du journalisme littéraire

Le Centre de recherche sur les médiations organise en partenariat avec le festival Littérature et Journalisme de Metz un colloque international du 10 au 11 avril 2014, à Metz.

Quand l’information s’accélère, quand l’écriture se fragmente, quand la presse papier s’essouffle, réaffirmer un intérêt pour le journalisme littéraire pourrait paraître anachronique, au moins singulier... sauf à considérer le nombre toujours croissant de journalistes et grands reporters (Florence Aubenas, Éric Fottorino, Jean Hatzfeld, pour ne citer qu’eux) qui, s’étant tournés vers le support livre, remportent des distinctions littéraires pour des entreprises touchant aux fictions du réel, au grand reportage social, aux oeuvres-témoignages, autant d’objets hybrides qui réinterrogent les frontières du journalistique et du littéraire. Phénomène conforté par l’apparition et le succès de nouveaux objets journalistiques à mi-chemin entre revues et livres : les mooks, contraction du mot magazin et book. Ces « revues-livres » semblent constituer des expressions alternatives à l’évolution de la presse écrite traditionnelle forcée de prendre ses distances avec les traditions de l’investigation, du grand reportage ; et ce, en raison de l’évolution des modèles économiques (impératif de rentabilité, regroupement capitalistique) et du tournant numérique. Ce retour du format long, du récit qui prend son temps, conquiert un public grandissant et explique notamment l’augmentation, ces cinq dernières années, de travaux en sciences humaines et sociales sur les interactions entre journalisme et littérature.

Si ces nouveaux supports d’information apparus au tournant des années 2010 sont souvent cités comme symptomatiques d’un modèle journalistique en reconversion, ils n’ont fait l’objet d’aucune étude en tant que telle. Lors de ce colloque, l’enjeu des échanges est de proposer des analyses et d’ouvrir une réflexion autour de ces livres-objets dont l’émergence ne peut être pensée sans envisager le contexte de recomposition professionnelle du journalisme et la nécessité pour le journalisme de renouveler constamment ses formes et ses formats. XXI, Uzbeck et Rica, Feuilleton, Le Tigre, Bonbek… qui privilégient l’enquête au long cours, l’esthétisme de la maquette, le genre du reportage, constituent des objets captivants d’une pensée qui voudrait renouveler la problématisation entre journalisme et littérature.

Les communications viseront donc à enrichir la réflexion sur ces relations entre littérature et journalisme telles qu’elles se manifestent au sein de ces objets hybrides que sont les revues-livres, en mettant l’accent sur les phénomènes d’intersection qui les caractérisent et sur la mutation qu’elles représentent à l’échelle du monde de la presse.


Pour aborder cette problématique globale, trois axes sont proposés :

1. Producteurs des mooks

Les communications s’intéresseront aux fondateurs de ces projets à contre-courant et aux acteurs qui y participent (éditeurs, journalistes, écrivains, équipes rédactionnelles, illustrateurs, directeurs de publication…), ainsi qu’aux projets éditoriaux qui les définissent. Il s’agira de mieux circonscrire ces objets, leurs principes, de comprendre leurs enjeux (économiques, sociaux…) et de préciser leur inscription dans le paysage éditorial et médiatique actuel : la création des mooks répond-elle à un refus de certaines tendances de la presse actuelle (immédiateté, information brute…) ? S’agit-il de créer un nouveau support pour un journalisme narratif qui ne trouve plus vraiment sa place dans la presse ? Ce projet éditorial inclut-il le choix de certaines thématiques (souvent peu spectaculaires, demandant un traitement long et situées à la marge de l’actualité) ? En outre, cet axe consacré aux « producteurs » est également ouvert aux interrogations sur les parcours et les pratiques professionnels des journalistes et illustrateurs impliqués, sur les choix qui les ont amenés à s’inscrire dans ces équipes entre les deux voies, mieux balisées, du journalisme d’information et de la production littéraire. Parmi ces acteurs, la figure du grand reporter mérite une attention particulière : qui est-il, comment se met-il en scène dans son récit, quel est son rapport au littéraire ? En définitive, que lui apporte le support mook par rapport à la presse et au livre ? La question du financement des revues-livres fonctionnant pour la plupart sans publicité et des relations de leurs rédactions avec les maisons d’édition pourront également être envisagées.

2. Poétique des mooks

Seront bienvenues des communications consacrées à l’étude du discours des revues-livres, aussi bien dans sa dimension textuelle qu’iconique. Elles pourront s’intéresser aux formes privilégiées par les mooks (reportage, photoreportage, enquête, portrait, témoignage…), aux procédés d’écriture, aux emprunts réciproques entre genres littéraires et journalistiques, à la place et au rôle de l’illustration. Des approches littéraires, sémiotiques, esthétiques sont attendues, sans oublier l’histoire littéraire qui permettra de s’interroger sur les filiations qu’entretiennent les mooks, non seulement avec le journalisme littéraire anglo-saxon (The New Yorker, Granta…), mais aussi avec les grandes revues françaises du XIXe et du premier XXe siècle : ces revues inventent-elles réellement quelque chose de nouveau, où participent-elles d’une forme de « retour aux sources » ? Sont-elles encore, comme les revues qui les ont précédées, des creusets d’invention littéraire et journalistique et, le cas échéant, quelles sont les caractéristiques de cette nouvelle écriture, voire du nouveau rapport au monde, qu’elles inventent ? Au-delà de la perspective historique, les contributeurs pourront s’interroger sur un certain nombre de questions liées à la poétique ou à l’esthétique des revues-livres : par exemple, qu’apportent à l’information les formats longs, les narrations soignées, l’image sous toutes ses formes (dessin, photographie, BD) ?

3. Publics des mooks

Ici on pourra explorer l’hybridité du support qui, par ses processus socio-économiques de diffusion, de consommation et de réception, est à mi-chemin entre le journal (voir sa périodicité, par exemple) et le livre (distribution en librairie plutôt que dans les maisons de la presse…). Il s’agira, par l’intérêt porté aux circuits de distribution, aux dispositifs de communication à l’oeuvre…, de préciser l’appartenance des mooks au champ littéraire et/ou journalistique. Des communications dédiées à une approche socio-économique des publics concernés, de leurs modes de consommation et de lecture, sont attendues. Le public de ces nouveaux médias est-il extensible ou sommes-nous confrontés à des objets occupant un sorte de niche, dessinant ainsi un journalisme à deux vitesses ? Enfin, cet axe peut ouvrir sur les effets possibles des revues-livres dans le champ journalistique (constituent-ils une seconde voie pour des pratiques journalistiques exclues de la presse d’information ?) et dans le champ littéraire (quel est le rapport entre ces supports hybrides et la tendance à la littérature du réel ?), ainsi que sur les évolutions qu’elles peuvent induire dans les deux champs et sur leur propre avenir. En définitive, que nous disent ces mooks des représentations sociales de la littérature, de l’écriture, du journalisme aujourd’hui ? Dans cette perspective, mettre en partage ces objets, parmi des spécialistes tant du texte, des procédés d’écriture que des médias, nous assure certainement de l’éclairage souhaité.